Grand Raid des Pyrenées 2015 (80km)

Samedi 22 avril 2015, 4h30 du matin, place de Vielle Aure, une heure où habituellement ce petit village dort profondément!
Mais aujourd'hui ce n'est pas un matin comme les autres, aujourd'hui c'est le Grand Raid des Pyrénées et plus précisément à 5 heures ce sera le départ du Grand, soit 80 km de trail en montagne et haute montagne avec 5000 mètres de dénivelé positif.
24 heures avant cette course il y a eu les départs de l'ultra (160 km) et de la TDC (Tour des Cirques - 120 km). A l'heure qu'il est les courageux courent toujours.
Cela fait maintenant presque 8 mois que je m'entraine spécifiquement pour cette course, 8 mois à 4 séances par semaines, à courir par tous type de temps: le froid, la pluie, la nuit, le vent, la grêle, quelques fois même un peu de neige; des week-end sans grasse matinée, sans trop d'abus parce que le lendemain il y avait une grosse sortie de 2, 3, 4, 5 ou 6 heures !!
Bref une préparation assez conséquente accompagnée de son lot de blessures et de galères habituelles à tout bon traileur.
Mais ce matin je suis là et en forme à Vielle Aure sur un petit pont qui traverse la Neste en compagnie de ma chérie qui m'a conduit jusqu'ici. J'ai rendez-vous à 4h45 avec mes deux potes d'entrainement Yann et Anthony pour que l'on prenne le départ tous les trois, sachant qu'ils ont un niveau bien supérieur au mien et que nous ne courerons pas très longtemps ensemble.
Ce petit village si tranquille d'habitude se remplit de coureurs prêts à affronter cette longue journée, il en arrive d'un peu partout de chaque rue menant à la place éclairée par des spots puissants, l'adrénaline monte, les minutes à attendre mes potes me paressent longues, j'ai l'estomac complètement noué, je ne sais pas si je dois aller d'urgence aux toilettes au risque de louper le rendez vous ou bien attendre que ça passe ... mais les voilà, les voir me soulage, nous allons enfin pouvoir nous diriger vers le sas de départ où nous devons nous faire "scanner" le dossard.
J'embrasse Nath une dernière fois et nous nous rendons sur la ligne de départ, ou plutôt en queue de peloton car contrairement à d'autres trails, on ne peut pas arriver à la dernière minute pour se placer sur la ligne de départ, il faut absolument entrer dans un sas et faire la queue, si bien que nous nous retrouvons presque dans les derniers. Ce n'est pas très important sur cette distance et de toute facon il y a environ deux kilomètres de bitume avant de trouver le premier chemin (donc un bouchon) ce qui nous laissera un peu de temps pour reprendre plusieurs dizaines de places.
Nous sommes 1400 coureurs à prendre le départ. Plus que 5 minutes, ça y est nous y sommes, en quelques secondes je repasse le film de nos entrainements, c'est pour ça que nous l'avons fait !!!
Les organisateurs lancent la musique, comme chaque année c'est Viva la vida de Coldplay, nous nous souhaitons une bonne course en nous serrant les pognes, les rythmes cardiaques augmentent, 5, 4, 3, 2, 1, c'est parti !!
Nous marchons 30 secondes puis dès le franchissement de la ligne nous courrons puis nous ralentissons, en accordéon, un peu comme sur certaines autoroutes lorsqu'il y a beaucoup de circulation.
Rapidement j'essaie de me placer sur le bord gauche de la route, je sais que j'y trouverai Nath et effectivement je la vois déjà, je lui vole un dernier bisous et je repars. J'ai déjà perdu de vue Yann et Anthony, je slalome un peu pour essayer de rester dans mon rythme et comme prévu je double beaucoup de monde sans pour autant me mettre dans le rouge. Que ça fait du bien de courir !
Après environ 1 kilomètre nous sommes beaucoup moins serrés, nous pouvons courir à notre aise et c'est là que je retrouve mes deux compères, nous quittons l'éclairage du village pour pénétrer dans la nuit noire du premier chemin qui symbolise vraiment le début de ce trail, ici les hostilités commencent, 13 km jusqu'au restaurant des Merlans avec 1500 mètres de D+, maintenant il est temps d'allumer ma lampe frontale et de souhaiter une dernière fois bonne course à Yann qui est juste devant moi.
Ce sentier est déjà très raide, il n'y a de la place que pour 2 ou 3 coureurs côte à côte, d'autant plus que le ballet des batons a commencé, une grosse majorité de coureurs en est équipée et sur ce début de parcours où nous sommes encore très serrés il faut être vigilant pour ne pas s'en prendre un coup !
Moi j'ai choisi de faire la course sans batons ... mais c'est mon choix !
J'aperçois au loin et beaucoup plus haut les lampes frontales des premiers ; à les voir je me rends compte que l'ascension n'est pas terminée ! En revanche en se retournant c'est un autre spectacle qui se présente, celui d'une guirlande qui part de la vallée et qui remonte jusqu'à moi.
Nous croisons déjà les premiers du 120 km, dans quelques minutes ils en auront terminé, nous ne manquons pas de les encourager au passage.
Le soleil commence à se lever doucement derrière les montagnes, nous allons enfin découvrir notre terrain de jeu.
Nous empruntons des pistes de ski aux environs du plat d'Adet, ce n'est pas ce qu'il y a de plus joli, c'est large, sans végétation et ça grimpe toujours !
J'arrive enfin au col du Portet (2215 m) après 2h13 de course (ou plutôt marche rapide) nous avons déja cumulé 1509 m de D+ (dénivelé positif) et il fait grand jour, il ne reste plus qu'une descente de 1.4 km pour rejoindre le restaurant des Merlans, où se trouve le premier pointage et donc le premier ravito.
Je me fait plaisir en descendant à bonne allure, ça fait du bien de courir !
J'y arrive en 2h21 pour 15 km de parcourus ! J'avais prévu d'y arriver dans un temps compris entre 2h et 2h06, je ne pense pas avoir trainé en route ce qui veut dire que mes prévisions étaient un peu trop optimistes, je crois que je vais pouvoir balancer ma petite fiche avec mes temps de passage !
Je profite de cet arrêt pour refaire le plein de ma poche à eau (1 litre) et de recharger mon bidon en boisson energisante (500 ml) et je repars sans trop tarder.
A partir de là nous empruntons des sentiers de montagne caillouteux où il est bien souvent difficile de courir sans manquer de se tordre une cheville, tandis que s'offrent à nous de magnifiques paysages, comme le lac de l'Oule.
Après une ascension de 469 m de D+ j'arrive au col de Bastanet (2507 m), je m'arrête quelques secondes pour reprendre mon souffle et laisser un peu de répit à mes quadriceps et surtout d'admirer la superbe vue sur le lac de la Hourquette.
Puis ce sera une succession de montées et de descentes sur des traces caillouteuses, quelques fois nous traversons des champs d'énormes blocs de rocher en faisant attention de ne pas se coincer une jambe entre ces blocs.
Quelques fois nous entendons des marmottes siffler, mais je n'en verrai pas, mieux vaut rester concentré sur la pose des pieds !
Nous passons au barrage de Gréziolles et sortont de ces sentiers minéraux pour entamer une descente de 569 D- sur un sentier très roulant, peut être trop car je suis obligé de freiner pour ne pas m'emballer !
A la Peyre Houradade, on se  prend un beau mur de 150 m de haut qui à voire certains coureurs entame bien le mental, les organismes commencent à souffrir, il fait chaud, ça fait déjà 5 heures que l'on est parti ...
On retrouve une route forestière légèrement en descente, et arborée. De là nous avons un point de vue sur le pic du midi, il parait très loin et encore inaccessible !!
Puis nous empruntons une petite trace qui surplombe la route menant à la Mongie, ce n'est pas très agréable, nous ne sommes plus en montagne !
J'y arrive enfin en 5h41 ( 31 km et 2310 de D+), comme aux Merlans, je refais le plein de liquide, je mange 2 tucs salés, un petit pipi et je repars.
Juste à la sortie je croise Philippe (un ancien du club), il arrive juste à la Mongie, il m'avoue qu'il a souffert dans la dernière montée, je lui souhaite bonne chance et je repars en courant, prochain objectif: le col de Sencours et ensuite le pic du  midi !
Je repars sur un petit sentier en descente plutôt agréable, c'est assez roulant, mais après 2.5 km environ ça remonte, et oui le pic du midi est bien plus haut par conséquent il faut monter !
Il fait chaud, la fatigue se fait sentir sérieusement, ça grimpe, nous nous dirigeons lentement vers le col de Sencours que l'on a en ligne de mire, en faisant de petits lacets ! Lorsque je lève la tête je vois les coureurs loin devant presque arrivés et je mesure l'ampleur de ce qu'il  me reste parcourir !!! C'est dur !!! Je rêve presque d'une petite pluie rafraichissante !
Comme par magie la pluie arrive et la fraicheur arrive d'un coup accompagnée de rafales de vent.
Comme tout le monde je m'arrête pour enfiler ma veste de pluie.
13h01 (8h01 de course) j'arrive enfin au col de Sencours (2378 m) sous une ola de quelques supporters courageux, ça fait du bien ! Puis arrive un officiel pour bipper mon dossard et me dire: "Bonjour Franck ! C'est fini pour le Pic du Midi, tu redescends directement à Tournaboup et tu prends 2 heures de pénalité!". (j'apprendrai le lendemain que c'est en fait 3h de pénalité !)
Ma joie d'être arrivé au col de Sencours se transforme en déception, le Pic du Midi c'est le point culminant de la course pour son altitude (2876 m) mais aussi pour le mythe ! Nous sommes tous venu avec au fond de nous l'envie d'accéder à son sommet !
Tant pis ce sera pour une autre fois, ou pas ...
Je rentre dans le refuge pour refaire le plein en boisson, manger deux tucs (comme d'hab), je retrouve une nouvelle fois Philippe et nous redescendons ensemble vers Tournaboup.
Il s'agit d'une descente de 6.3 km  et 1440 m de D- assez facile à courir, même si les quadriceps commencent à être douloureux, la pluie a cessé de tomber mais il fait encore frais.
Ca descend vraiment très vite, rapidement je m'arrête pour enlever ma veste de pluie, il fait de nouveau chaud ! Philippe reviens sur moi et nous continuons la descente ensemble, c'est quelques fois glissant et nous faisons un concours de qui fera la plus belle figure sur les fesses !
Je perds de nouveau Philippe qui s'arrête au niveau de son fan club venu l'encourager et j'arrive finalement seul à Tournaboup (1436 m) où je me fais pointer. (9h05 de course et 51 km de parcourus)
Même routine, boisson, tucs et je m'assoie un peu pour récupérer de cette descente qui a fortement sollicité mes quadri !
J'aperçois Karine (la femme d'Anthony) parmis les spectateurs qui me dit qu'il va arriver également à Tournaboup et que Yann doit être 15 ou 20 minutes derrière, je me lève et effectivement je vois Anthony arriver avec un bol de pâtes dans les mains.
Lui a eu la chance de pouvoir monter au Pic du Midi, il a donc une belle avance sur moi !
Nous faisons le point sur notre état de forme, nos bobos, nous nous rafraichissons un peu en nous aspergeant d'eau et nous repartons tout les deux décidés à faire un peu de chemin ensemble et nous laissons Philippe à Tournaboup.
Il fait maintenant très chaud, il est un peu plus de 14h et le soleil tape fort, nous progressons en marchant, bien entamés par l'étape précedente.
Nous nous dirigeons vers la cabane d'Aygues Cluses où nous pourrons refaire le plein d'eau.
Le paysage est encore une fois magnifique, nous remontons une petite rivière où nos ne manquons pas de nous rafraichir lorsque nous le pouvons.
Nous sommes sur un sentier quelques fois assez technique avec quelques belles côtes. La fatigue est là, je m'arrête régulierement pour souffler un peu, Anthony lui, trouve un second souffle et prend le large, je le perdrai de vue rapidement. Je me fais également rattraper par Philippe que je retrouverai une nouvelle fois à la cabane d'Aygues Cluses. J'y arrive à 16h22 (soit 11h22 de course), je refait le plein et je m'allonge dans l'herbe pour me reposer quelques secondes, Philippe repart cette fois avant moi.
Pendant cette courte pause j'apprendrai que la suite est très difficile puisqu'il s'agit de l'ascension jusqu'à Hourquette Nère: 2 km avec 300 m de D+, ça parait rien du tout par rapport à ce que l'on a fait avant, mais à ce moment de la course chaque côte est une difficulté qu'il faut savoir négocier.
Je ne m'attarde pas trop à la cabane et je repars. Rapidement j'aperçois cette belle côte, c'est clair il va falloir gérer ! J'en ai assez de lever les jambes pour monter, j'ai envie de m'assoir à chaque lacet, j'ai un gros coup de pompe, il faut être patient, je sais que ça va finir par passer !
A 200 mètres du sommet une femme de l'organisation nous encourage pour finir l'ascension, j'arrive à 17h08, Philippe est encore là, je profite un peu du paysage: un 360° sur la chaine des pyrenées à 2465 m d'altitude, c'est sûr ce trail me laissera de beaux souvenirs !
Et c'est reparti pour une descente très technique, difficile à courir, pour arriver une nouvelle fois au restaurant des Merlans, ce sera le dernier pointage et ravito avant l'arrivée ! Mon coup de mou est passé, j'ai retrouvé une certaine "fraicheur", Philippe et moi discutons histoire de faire passer le temps. Puis bonne surprise, nous sommes rattrapés par Yann, il a l'air en forme, nous échangeons quelques mots, parcourons une centaine de mètres ensemble et il nous laisse pratiquement sur place, Philippe accélère deux secondes pour essayer de le suivre et se rend vite à l'évidence que ce n'est pas possible !
Puis la pluie revient avec cette fois des coups de tonnerre, je m'arrête pour enfiler ma veste de pluie au contraire de Philippe qui continu, je ne le reverrai pas avant la fin.
Je continue donc seul, l'orage est de plus en plus menacant mais semble être derrière moi, j'en profite pour appeler Nath pour la rassurer et puis ça fait du bien de lui parler !
Nous traversons une forêt qui commence à devenir boueuse sous l'effet de la pluie, ça glisse, méfiance !
Nous sortons de cette forêt sur un petit sentier qui surplombe le lac de l'Oule, la vue est magnifique, dommage qu'il pleuve, allez il faut continuer, les nuages couvre le ciel, il n'y a plus beaucoup de lumière, le tonnerre gronde, il faut vite rentrer à Vielle Aure.
Arrivée au restaurant des Merlans à 19h04 (soit 14h04 de course), pas besoin de refaire les niveaux j'ai de quoi finir, je mange un tuc, je demande à un officiel combien il reste de temps à peu près pour finir, il  me répond: "c'est 13 km de descente, il faut environ 2h30!". Ca me parait beaucoup, mais puisqu'il le dit ...
Je me lance dans la dernière côte jusqu'au col de Portet (177 m  de D+ pour 1.4 km), je grimpe en marchant, il ne pleut presque plus.
Arrivé en haut c'est une averse de grêle phénomènale qui nous tombe sur la tête, accompagnée de coups de tonnerre puissants ! Il est alors 19h30, j'apprendrai le lendemain que les courses ont été stoppées définitivement à ce moment là au niveau de Tournaboup et les coureurs qui étaient aux Merlans ont été retenus 40 minutes ! J'ai eu de la chance de passer juste avant!
Mais je suis trempé comme une soupe, mes chaussures font floc floc et il y a effectivement 12 km de descente et très raide au début, si bien que mes pieds butent à chaque foulée au bout de mes chaussures.
Rapidement une douleur apparait à mon gros orteil droit, j'ai l'impression que l'ongle est en train de se décrocher, ça fait chi... ! Je suis obligé de marcher dans les descentes trop raides !
Puis le chemin devient un peu moins pentu et je peux reprendre en courant et même à une bonne allure, je suis bien décidé à rentrer et rapidement, mon objectif était d'arriver avant  la nuit, je peux encore le faire! Nous passons à Espiaube, malgré la pluie il y a encore des spectateurs pour nous encourager, puis nous entrons dans une forêt très sombre et surtout glissante c'est une vraie patinoire, je devrais certainement sortir ma lampe frontale mais je n'ai pas envie de m'arrêter, il ne reste que quelques kilomètres!
D'un coup le sentier gadouilleux laisse la place à une route en bitume, ça fait du bien, je peux courir sans peur de glisser ou de butter sur un cailloux, c'est la fin de ce trail, je commence à prendre conscience que "ça y'est je l'ai fait !"
Je traverse Vignec à fond (ce n'est qu'une impression) des spectateurs m'indiquent la route à suivre, j'arrive enfin à l'entrée de Vielle Aure, j'entends le speaker au loin annoncer les arrivants, ça fait presque bizarre de retrouver un peu d'animation, plus qu'un kilomètre! J'entre dans le village, les spectateurs sont de plus en plus nombreux sur le côté, je reçois avec plaisir tous ces encouragements, l'émotion monte !
Surprise à une centaine de mètres de la ligne d'arrivée je retrouve mes deux chéries qui ont l'air surprises de me voir arriver, rapidement je prends Rachel par la main et comme à l'accoutumée depuis quelques courses, nous courons tous les deux vers l'arche d'arrivée que nous franchissons à 20 heures 59 minutes et 28 secondes !!! et il ne fait pas nuit, enfin pas tout à fait.
Je me fait bipper une dernière fois, je monte sur le podium (comme tous les finishers) pour recevoir mon tee shirt, ma médaille.
Je retrouve Philippe qui est arrivé juste 1 minutes avant moi.
Vu la météo j'imagines que Yann et Anthony sont déjà partis et je n'ai qu'un envie c'est rentrer au camping prendre une douche et dormir, je n'ai pas la force de manger !


Prochain défit, la Saintélyon le 6 décembre 2015, 72km - 1800 m de D+ départ à minuit, ce sera une nouvelle aventure ....