UTNG 2017 (le récit)

UTNG

(Ultra Trail Nantes Guérande) 

Voilà c'est reparti, il y a à peu près un an je prenais le départ de l'UTNG en solitaire, c'était le 18 juin 2016.
Malheureusement j'étais contraint d'abandonner au bout de 115 km à cause d'une douleur à une jambe qui m'empêchait de progresser même en marchant !
Je m'étais juré de ne plus refaire cette "course », mais je ne pouvais pas non plus rester sur un échec, c'est pourquoi me revoici ce 9 juin devant le château de la duchesse Anne à Nantes prêt à retenter l'aventure.
Mais cette fois je ne suis pas seul ....


1 - Le paquetage

Tout d'abord je vais faire un inventaire de ce que j'emmène avec moi, l'année dernière j'avais pris bien trop de choses inutiles, j'avais un peu plus de 6 kilos sur le dos.
Voici la liste:
  • 1 Lampe frontale + piles de rechange
  • 1 Lampe poitrine (accroché sur la sangle de mon sac) + piles de rechange
  • 1 petit téléphone portable
  • 1 lecteur mp3
  • 2 montres GPS
  • 1 paire de chaussettes de rechange
  • 1 paire de chaussettes de plongée
  • 1 veste de pluie coupe vent
  • 1 tee shirt de rechange
  • 1 tube de crème anti échauffement
  • 1 rouleau de sparadrap
  • 1 poche à eau de 2 litres + 1 poche d'1 litre de secours
  • 1 flasque à main de 50 centilitre
  • du PQ
  • 1 casquette
  • 1 buff de rechange
  • 1 sachet de bananes sèches
  • 4 bananes fraiches
  • 2 sandwichs jambon/fromage coupés en deux
  • de la viande séchée

Quelques explications:
j'ai adapté une lampe frontale pour pouvoir l'accrocher sur la sangle abdominale de mon sac, de cette façon j'aurais un éclairage plus près du sol en plus de ma lampe frontale.
2 montres GPS, simplement parce que j'en ai une qui tient environ 10 heures (Garmin Forerunner 205) et l'autre qui tient 15 heures (Suunto Ambit run 3).
Une paire de chaussettes de plongée ?
Bah oui, lors de mes reco, j'ai pu constater qu'un passage en Brière (vers le 115 ème km) était complètement noyé, je devrais donc me déchausser et traverser avec ces chaussettes aux pieds pour ne pas me blesser.
Pourquoi une poche de secours ?
Il m'est arrivé d'en percer une pendant un entrainement ce serait dommage de devoir arrêter à cause de ça, d'autant que ce n'est pas très lourd.
J'ai pris une flasque que je remplirais uniquement si je pense ne pas avoir assez d'eau entre deux ravitos, à priori il va faire chaud le samedi donc prudence !Pour le départ j'ai rempli ma poche de 2 litres avec de la Badoit que j'ai préalablement dégazée.Cette eau est riche en sels minéraux, c'est intéressant.
Concernant les ravitos ce sont les mêmes que l'année dernière, il s'agit uniquement de point d'eau et ils sont placés aux kilomètres 43, 63 et 93.

2 - Quelques semaines avant le départ

Anthony m'annonce pendant un entrainement qu'il a envie de m'accompagner sur les 70 premiers kilomètres (c'est-à-dire la moitié), c'est cool, cela veut également dire que nous allons courir ensemble toute la nuit, ce sera bien plus facile et surtout moins pénible de le faire à deux. Et puis ça va rassurer Nathalie, elle était très inquiète de me savoir seul toute la nuit.

3 - Quelques jours avant le départ

Anthony m'apprend qu'un autre pote nous accompagnera jusqu'à Saint-Étienne-de-Montluc, soit environ 37 kilomètres.
Ce n'est pas rien pour Sylvain quand on sait qu'il court sérieusement depuis à peine 6 mois ! C'est un beau défi pour lui aussi ce soir !
Nous voici donc tous les cinq en voiture (ma femme, ma fille, Anthony, Sylvain et moi) direction Nantes. Nous avons récupéré Sylvain à Saint-Étienne-de-Montluc où sa voiture l'attendra à l'arrivée.
Arrivés à Nantes, nous nous garons pas très loin du château et partons en marchant pour rejoindre la ligne de départ.
Sylvain s'aperçoit rapidement que sa poche à eau fuit, mauvaise nouvelle, cela paraît difficile de faire 37 bornes sans boire un minimum ! Ça commence mal !
A priori c'est la tétine qui est HS.
Heureusement j'ai pris une poche de rechange (souvenez-vous !) et j'ai donc le tuyau et la tétine qui vont avec.
La réparation s'avère plus compliquée que prévue, impossible de démonter la tétine, elle doit être collée, nous sommes obligés d’entrer dans un bar pour demander un couteau.
Réparation faite, il est 21h10, nous faisons rapidement une photo tous les trois devant le château, j'embrasse ma femme et ma fille et nous partons en petites foulées sur le GR3 direction Guérande.

4 - En route

Objectif, ne pas dépasser la vitesse moyenne de 10 km/h, au moins sur les premiers kilomètres, puisqu'une chose est certaine, je serai bien en dessous de cette moyenne à l'issue de cette aventure.
Nous passons devant la cathédrale, puis le cours Saint-Pierre et enfin nous traversons le pont de la Tortière pour arriver sur un petit chemin le long de l'Erdre.
Nous courons tout doucement, on doit même se freiner par moments pour ne pas aller trop vite. C'est une belle soirée, il fait bon, nous passons devant plusieurs barbecues party le long de la rivière, ça sent bon ça donnerait presque envie de s'arrêter pour manger une saucisse !
Nous avons l'impression qu'a cette allure nous pourrions tenir des heures et des heures sans jamais s'arrêter, mais ce n'est que le début et je sais bien que la fatigue arrivera, insidieusement.

8ème kilomètre, La Chapelle sur Erdre, nous sommes partis depuis 50 minutes et nous quittons la "civilisation" pour emprunter un petit chemin le long du Gesvres.
Cet endroit est assez boisé, on se retrouve d'un coup dans la pénombre, il est 22 heures et par endroits j'allume ma lampe "poitrine" histoire de ne pas trébucher sur une racine mal placée.

11,6 km et 1h15 de course, nous quittons les bords du Gesvres pour reprendre une route en direction d'Orvault.
Peu après nous nous arrêtons pour sortir nos lampes frontales et manger un peu. Anthony a apporté avec lui un pain d'épices que le boulanger a préparé spécialement pour lui et d'après les bruits qu'ils font en le mangeant, il doit être bon !
Pour ma part je préfère ne pas tester un nouvel aliment aujourd'hui, ce serait un peu trop risqué !
Jusque-là nous sommes tous les trois en pleine forme, nous repartons, équipés de nos lanternes.

17 km et 1h54 de course, il est 23 heures, il y a déjà plusieurs minutes que nos lampes sont allumées, nous arrivons au château de la tour à Orvault.
Jusque-là je reconnais le parcours, je me rappelle de tout comme si j'étais passé là la semaine dernière, alors que je ne suis pas venu ici depuis une année.

19 km - 2h06 ( à partir de maintenant j'afficherai la distance et le temps depuis notre départ), nous entrons dans le bourg d'Orvault. Un jeune en vélo nous aborde. Il n'a pas de lumière, juste un gilet jaune et apparemment un peu d'alcool ou autres substances dans le sang.
Il nous demande la route pour aller à la Paquelais, il a juste un petit bout de papier avec une adresse, certainement un rencard !
Il nous suit jusqu'au centre bourg et nous lui indiquons la route à suivre.
Il a plusieurs km à faire sur une route assez fréquentée par les voitures, sans lumière et pas très frais, nous le laissons partir en espérant qu'il ne lui arrive rien.
Nous profitons d'une belle côte pour nous ravitailler, Sylvain a faim, il n'a pas eu le temps de manger avant de partir de chez lui !
Jusque-là, tout va bien nous repartons tranquillement en direction de Sautron!
Par moments sur les zones de plat, Anthony et Sylvain accélèrent involontairement, moi je m'efforce de garder l'allure, le chemin est encore long jusqu'à Guérande.
Les kilomètres défilent assez vite ...

26 km - 2h54 nous arrivons à Sautron, à partir de là nous connaissons plutôt bien le chemin jusqu'à Savenay puisque c'est à peu de choses près le même parcours que pour le super-trail Nantais auquel on participe depuis 3 ans.
27ème kilomètre, alors que nous progressons sur un single (comprendre qu'il n'y a de la place que pour une personne, donc nous courons à la queue leu leu) nous sommes stoppés net par une énorme toile d'araignée et son habitante ! Nous l'avons vu au dernier moment dans le faisceau de notre lampe. C'est une anecdote mais cela nous arrivera plusieurs autres fois durant la nuit !
Nous traversons la nationale 165 sur un pont et bifurquons sur une petite route de campagne en direction de Saint-Étienne-de-Montluc.
Là nous sommes encore une fois freinés par des travaux de voirie que nous devons franchir en prenant garde de ne pas tomber dans une tranchée.

Nous passons au 30ème kilomètre après 3h22 de course, nous progressons toujours tranquillement, les discussions sont un peu plus espacées, nous sommes tous les trois plongés dans nos pensées. Sylvain commence à ressentir quelques douleurs dans les jambes, allez, plus que 7 kilomètres pour lui.
Sur le chemin nous croiserons un chien (gentil), puis une biquette ...

36,5 km - 4h10 cela fait un moment que nous courons à la queue leu leu les yeux rivés sur le faisceau de nos lampes. Nous arrivons enfin à l'entrée de Saint-Étienne-de-Montluc Sylvain est content de retrouver la "ville", d'autant que pour lui c'est bientôt fini, il aura réussi son défi avec brio, sans trop souffrir, encore une petite côte et nous arrivons enfin à sa voiture.

37,4 km et 4h20, il regrette presque de ne pas pouvoir continuer un peu avec nous pour pouvoir passer la barre mythique du marathon.
C'est déjà beau, pour quelqu'un qui court depuis seulement 6 mois, c'est une belle perf et une belle expérience.
Pour Anthony il en reste encore environ autant et moi j'ai à peu près une centaine de kilomètres qui me sépare de l'arrivée, donc ce n'est pas le moment de se relâcher et de se laisser envahir par des pensées négatives du style:
"je m'arrêterais bien là aussi, Sylvain va rentrer chez lui, il va manger, se doucher et dormir dans un bon lit etc ."
On se dit au revoir et nous repartons Anthony et moi sur les traces du GR3.
Nous enfilons tous les deux nos manchons, on sent la fraicheur tomber légèrement.

 

5 - Anthony et moi

La partie qui nous attend est la plus difficile d'un point de vue dénivelé, mais c'est aussi la partie qu'on connaît le mieux, c'est notre terrain d'entrainement, on va pouvoir courir un peu au radar sans se soucier du chemin que l'on doit prendre.
À partir de là nous marcherons toutes les côtes, bref nous y allons cool jusqu'à Savenay.
Le premier ravitaillement en eau est au 43ème kilomètre soit dans à peine 6 kilomètres.
En quittant Saint-Étienne-de-Montluc nous croisons une bande de jeunes bien "joyeux" pour l'heure qu'il est ! (à peu après une heure et demi du matin)
On a bien de la peine à comprendre ce qu'ils nous disent en hurlant, tout juste un : "heuuuhaaa... pourquoaaaa vous courrrreeezzz, le G AIR il est pat là !", bref nous prenons le large sans trop tarder !
La fatigue commence à se faire sentir, nous avançons doucement, alternant marche et course à pied, nous arrivons enfin au ravitaillement de "la colle" 5h12 après notre départ de Nantes, la moyenne chute doucement mais tout est normal, c'était prévu.
Nous faisons le plein en eau, sur mes deux litres il ne me restait pas grand-chose, la gestion est bonne.
Nous profitons de ce moment pour poser les sacs et manger un morceau, ça fait du bien, mine de rien 5 kilos sur le dos ça se sent à la longue.

Nous repartons direction Savenay, toujours en marchant dans les côtes, je suis souvent derrière Anthony.
Je le suis instinctivement sans réfléchir, sans regarder où je mets les pieds. Quelquefois nous nous arrêtons brutalement pour contourner une araignée et son piège, puis nous reprenons notre rythme, comme des robots, "quelquefois faut juste faire les choses !" comme dirait Scott Jurek.
Par moments je me dis que ça va être difficile (comme si j'en avais douté), mais j'essaie de ne pas y penser, j'avance.
Nous passons tous ces endroits que nous connaissons par coeur: le Goust, la Touche, le petit bois Renard, la côte de cailloux, celle où l'on s'entraine des fois lorsque l'on fait du travail en côte.

Nous arrivons enfin au lac de Savenay après 56,5 km et 7h15 depuis le départ (il est 4h30 du matin), nous faisons une petite pause sur un banc pour manger quelque chose puis nous repartons direction La Chapelle Launay où nous pourrons nous ravitailler en eau.

Je commence à prendre conscience que c'est bientôt fini pour Anthony et que je vais devoir continuer tout seul !
Nous traversons Savenay, à cette heure la ville est "morte", nous sommes seuls, oui les gens normaux dorment !
Nous arrivons enfin à la Chapelle Launay, normalement nous devrions faire un petit détour dans un petit bois sans intérêt, je propose à Anthony de zapper ce passage et de filer tout droit jusqu'à l'église où nous pourrons refaire le plein en eau.

63 km - 8h06 (il est 5h15 du matin), c'est donc le deuxième point d'eau, le troisième et dernier sera au km 95.
Nous repartons sans trop tarder direction Prinquiau, là où je laisserai Anthony aller se coucher.
Il a encore de bonnes jambes alors que moi je suis cramé, je suis surtout très fatigué, j'ai besoin de dormir.
Le jour commence à se lever, nous éteignons nos frontales alors que nous arrivons à Boitouze (Prinquiau) au 67ème kilomètre et 8h45 depuis Nantes, c'est ici que nous nous séparons, il a fait son boulot: m'accompagner jusqu'ici sans nous mettre dans le rouge, c'est mission réussie, il a bien mérité d'aller se coucher. Merci Anthony !
Il me dira quelques jours plus tard qu'il est rentré chez lui à une bonne allure (14 km/h) sur deux ou trois kilomètres ! Je ne sais pas comment il fait !

 

6 - Tout seul

Me voici seul, je décide de me reposer un peu, je vais m'allonger sur le même banc que l'année dernière, sauf qu'aujourd'hui il fait jour.
Mais avant cela j'appelle ma chérie pour lui dire que suis arrivé à Prinquiau et que je vais essayer de dormir 15 minutes et qu'elle a le temps de se préparer avant de me rejoindre en bas de chez nous.
Je mets ma casquette, j'enfile ma veste coupe vent, la capuche et je m'allonge sur ce satané banc en béton dur comme du ... béton!
Le téléphone sonne, ma sieste est terminée, Nath me dit qu'elle est prête et qu'elle sera là dans 10 minutes.
Nous nous retrouvons comme prévu à un peu de 68 kilomètres et 9h22 depuis le départ, il est 6h30.
Ma femme et ma fille sont là, ça me fait du bien de les voir et qu'est-ce que j’aimerais rester avec elles, mais je ne leur dit pas !
Je me décharge de toutes mes affaires inutiles pour la suite, lampes, piles, mes déchets, je change de montre et je me pose 5 minutes dans la voiture.
Allez il faut repartir, la journée n'est pas terminée !
Je repars en marchant, je suis encore tout endormi il faut que je me réveille tranquillement.
J'alterne marche et course à pied (même sur le plat), le soleil et déjà bien présent, je sens sa chaleur, ça promet, il n'est que 7 heures du matin.

Rapidement j'enlève ma veste, il fait vraiment bon.
Maintenant je n'ai presque plus de dénivelé jusqu'à l'arrivée, en revanche c'est beaucoup de route et plus beaucoup de végétation, au moins jusqu'aux marais de Brière.
À un moment je me rends compte que j'ai pris un petit raccourci involontairement, je pense même que j'ai fait pareil l'année dernière, ce n'est pas grave, c'est ma course après tout !
Je fais une pause vers le km 80 après 11h22 depuis le départ, au même endroit où l'année dernière j'avais fais une seconde sieste, il faisait encore nuit, aujourd'hui il fait bien jour et il commence même à faire chaud.
Je mange un peu et j'en profite pour changer de chaussettes et de tee shirt.
C'est au moment où je suis pieds nus et torse nu qu'arrive un cheval et son écuyer. Tout en passant ils m'ont regardé un long moment, j'ai bien senti qu'ils se demandaient vraiment qui j'étais et ce que je faisais là à moitié nu à 8h30 du matin. C'est comme ça !

Vers le 85 ème kilomètres je prends de nouveau un raccourci, cette fois volontairement, j'évite simplement une petite boucle en filant tout droit. Avec tous ces raccourcis il n'y aura pas 140 kilomètres à l'arrivée. (il s'avérera que le parcours fait 138 kilomètres !)
Sur ma gauche il y a les marais, je commence ma longue boucle autour du parc de Brière.
Je suis sur un chemin blanc, tout plat, tout droit, je suis perdu dans mes pensées, je souffre de la chaleur, je bois beaucoup et je me rends rapidement compte que je n'aurai pas assez d'eau pour aller jusqu'à Crossac. J'ai un peu l'impression d'être en voiture et de ne pas avoir assez de carburant pour aller jusqu'à la prochaine station.

87 km - 12h30, je traverse un tout petit village, il y a un banc juste à l'ombre, je me pose 10 minutes, je mange, je bois et je sens bien que ma poche à eau est presque vide. Dans ce village il y a peut-être un bar ou une petite boutique où je pourrais acheter de l'eau ? Pour le moment je ferme les yeux et je respire calmement.
J'ouvre les yeux et j'aperçois une dame marchant dans ma direction et trainant derrière elle un tas de branches et de déchets végétaux.
En passant devant moi elle me regarde, me dit bonjour et me demande:
   
    - vous marchez, vous courez ?

Je lui répond:

    - un peu les deux !

    - et vous venez de loin ?

    - de Nantes, je suis parti hier soir à 21 heures.

    - de Nantes ?????

    - Oui. Est-ce qu'il y a un bar dans ce village où je pourrais boire quelque chose de frais ?

    - Vous voulez boire quoi ?

    - Je ne sais pas, du coca, de l'eau, peu importe.

    -  Attendez, je jette ça ici (en lançant ses branches) et vous allez venir à la maison, j'habite juste à côté !

    -  avec plaisir !

J'ai vraiment de la chance !
Cette sympathique dame m'explique qu'elle fait beaucoup de randonnée avec un club, quelque fois sur de grandes distances. Je pense que c'est pour cette raison qu'elle m'a invitée sans se poser de questions, en tout cas le timing est parfait !
Elle m'offre un grand verre d'eau fraiche, nous sommes dans son jardin à l'ombre, ça fait un bien fou !
J'en profite pour vider le reste d'eau chaude de ma poche pour refaire le plein.
Nous discutons 5 minutes et je quitte cette dame en la remerciant mille fois, je suis requinqué, j'ai bien plus d'eau qu'il en faut pour aller à Crossac et le fait d'avoir rencontré quelqu'un de gentil et d'avoir pu discuter un instant m'a fait autant de biens.
C'est reparti, il me reste 6 kilomètres jusqu'à Crossac, prochaine étape. Il fait de plus en plus chaud, je redoute cet après-midi.

93 km - 13h20, il est 10h30 j'arrive dans Crossac.
J'aperçois tout près de l'église une boulangerie, en regardant par la vitrine je vois qu'il y a un frigo rempli de boissons fraiches.
En plus sur le trottoir il y a une table et une chaise, à croire que c'est là juste pour moi.
J'entre et je demande un éclair au chocolat et une canette de coca.
La vendeuse me dit:

    - Un peu de réconfort après une sortie en vélo ?

    - Non, je cours, je suis parti de Nantes hier soir à 21 heures.

La vendeuse s'arrête, les quelques clients se tournent vers moi et en chœur:

    - quoi ? de Nantes ?

La vendeuse:

    - mais vous avez dormi où ?

    - je n'ai pas dormi, juste 10 minutes sur un banc. Et je vais jusqu'à Guérande.

Puis elle s'adresse à une cliente:

    - Jusqu'à Guérande, ça alors, il a dormi 10 minutes ! Il vient de Nantes ! Moi j'arrive pas à courir 10 minutes !

Au fur et à mesure que de nouveaux clients arrivent, c'est la même histoire:

    - hé, tu sais quoi ? Il vient de Nantes ! Il est parti hier soir ! Il a pas dormi....

À leur réaction, je vois bien que je passe pour un fou, ça en devient gênant.
Je sors de la boulangerie et m'assieds pour déguster tranquillement mon éclair et mon coca. En fait je me goinfre tellement c'est bon !
Un par un les clients s'en vont et ne manquent pas de me dire au revoir et de me souhaiter bon courage.
Au fond de moi je souris, je suis fatigué mais je souris.
Allez je file vite fait refaire le plein de ma poche à eau comme prévu à un robinet près de l'église, il me restait beaucoup d'eau mais elle avait commencé à chauffer et c'est le dernier ravito.
Je me rends compte maintenant qu'à ce moment j'ai manqué de lucidité !
J'étais au 93 km, il me restait environ 45 kilomètres, c'était le dernier point d'eau et je n'ai pas pensé une seule seconde à remplir ma flasque que j'avais prévue pour ce genre de situation !
Bref, je repars donc de Crossac avec mes deux litres d'eau et l'estomac bien rempli.
Maintenant je n'aurais plus de point d'eau, il fait déjà chaud, la fin sera difficile.
Dans la portion qui arrive, je vais plonger au coeur de la Brière, par endroits je serai seul dans la nature avec pour seuls bruits ceux des oiseaux, des grenouilles, des poissons qui frayent, bref le silence.
Pour le moment je me dirige vers sainte Reine de Bretagne, je vais devoir courir le long d'une route très fréquentée sur un peu plus de 2 kilomètres, hors de question de marcher sur cette portion, plus vite je serai passé, plus vite je serai en sécurité.
Le GR3 ne passe pas ici, mais cette route me permet de contourner une zone très marécageuse, le chemin est sous l'eau toute l'année, c'est impraticable à pied, donc je n'ai pas le choix.

98 km - 14h 16, j'arrive à Sainte Reine de Bretagne, je traverse le village rapidement (ce n'est pas bien grand) et me retrouve enfin en pleine nature.

Passage au 100 ème km en 14h37.
Me voici sur un petit chemin dans les marais, j'ai de l'eau à gauche, j'ai de l'eau à droite, là je ne risque pas de me perdre.
En revanche le sol est complètement cabossé, instable.
De ce fait je marche cette portion, j'ai mal aux jambes, je préfère me préserver.
Je m'arrête pour me crémer les pieds, je commence à sentir un échauffement mais à priori rien de grave.
Je traverse le petit village de Camer, celui là même où il y a un an j'appelais Nathalie, complètement à l'agonie. Aujourd'hui je suis fatigué, c'est sur et c'est même normal, j'ai envie de dormir mais autrement tout va bien, je cours toujours.
À la sortie de ce village je reprends le même type de chemin marécageux et instable sur une portion de 5 kilomètres, je cours un peu et je me mets rapidement à la marche pour les mêmes raisons que tout à l'heure.

109 km - 16h10, j'arrive au bord de la D51, c'est exactement à cet endroit que j'ai abandonné en 2016, je suis toujours "en vie" !
Je dois avouer que j'ai un gros coup de mou, la dernière portion m'a épuisée, même la marche était difficile, les roseaux, les ronces et les orties ont bien poussées depuis 3 semaines ce qui freinait ma progression.
Normalement c'est là que je vais devoir sortir mes chaussettes de plongée, rappelez-vous c'est ce passage que j'avais trouvé sous l'eau lors de mon repérage.
Et bien là, c'est sec ! Du coup pas besoin de me changer, c'est toujours ça de gagner.

110 km - 16h22 je sors définitivement des marais, j'ai parcouru les 10 derniers kilomètres en 1h45, je me suis vraiment trainé et je suis encore très fatigué. Je m'allonge par terre pour me reposer 10 minutes.
Je suis reparti, il est environ 13h30, le soleil tape fort, j'ai du mal à courir, j'alterne des petites portion marche/course à pied.

114 km - 17h, j'arrive à l'entrée de Saint-Lyphard, je me rappelle qu'après ça j'ai une longue ligne droite sur un chemin blanc en plein soleil, j'imagine que je n'ai plus beaucoup d'eau dans ma poche et là où je passe il n'y a pas de bar ou de boulangerie, le chemin contourne la ville et je n'ai pas envie de faire un détour pour ma ravitailler.

117 km - 17h35, à partir de là je ne connais pas le parcours, lors de mes repérages je ne suis jamais allé plus loin, maintenant je vais donc devoir suivre le parcours sur ma montre.
J'ai face à moi une longue route en bitume et toujours un soleil de plomb, je souffre de la chaleur et je me rationne au niveau de l'eau.
Nath m'appelle pour me dire qu'elle est arrivée à Guérande et à la question: "as-tu besoin de quelque chose ?" je réponds:
Ouiiiiii, de l'eau !
Nous convenons donc d'un rendez-vous pour me ravitailler.
C'est au village de Kertrait que nous nous retrouvons, 121 km et 18h22 depuis hier soir. Il est donc 15h12.
Je monte dans la voiture et je bois de l'eau encore et encore, et aussi un peu de coca.
Je refais le plein de ma poche avec un mélange d'eau et de coca et je repars 20 minutes plus tard, j'ai fait une bonne pause.
Ça m'a fait beaucoup de bien de m'asseoir à l'ombre et de voir ma femme, mine de rien la solitude commençait à me faire perdre de la lucidité.
Je repars sur un petit chemin sur lequel je vais me perdre en essayant d'emprunter une variante du GR3 (selon la carte IGN), résultat je fais un kilomètre supplémentaire.
Cette fois je cours vraiment, j'ai même retrouvé un bon rythme, j'ai un regain d'énergie !
Je suis de nouveau sur la route, il commence à y avoir pas mal de voitures et ce n'est pas vraiment agréable, j'ai hâte d'en finir.

126 km - 19h20 j'arrive au village de Kerhinet, c'est un très beau village avec des chaumières. En général les gens viennent ici pour visiter, d'ailleurs il y a beaucoup de touristes.
Je continue toujours sur un bon rythme, toujours sur le bitume ! Je suis sur des routes de plus en plus passagères.

129 km et 19h42 depuis le départ, je retrouve ma femme sur un parking au bord de la route, nous faisons un point sur ce qu'il me reste à faire jusqu'à l'arrivée:
il reste exactement 9 km et à priori que de la route.
J'en ai marre de courir sur le bitume ça ne ressemble plus vraiment à du trail.
Ma femme me propose de me conduire en voiture jusqu'à ce que l'on trouve un chemin.
Après mure réflexion, je déclare que mon objectif est atteint, j'ai fait 129 km, j'ai encore des jambes pour courir, je suis tout à fait capable de faire les 9 kilomètres restants, mais je n'ai vraiment pas envie de continuer sur ce type de route.
J'ai passé des heures et des heures sur des chemins "seul au monde" et d'un coup je me retrouve à devoir respirer les gaz d'échappement en plein caniard. C'est décidé je m'arrête là !
Mission accomplie !
l'UTNG ne fera "que" 129 kilomètres, après tout c'est ma course je fais ce que je veux.

 

7 - Conclusion

Un grand merci à Anthony et Sylvain de m'avoir accompagné sur la première partie, il ne fait pas de doute que ça m'a beaucoup aidé.
En revanche j'ai sous-estimé ma consommation d'eau, ou plutôt je ne pensais pas qu'il ferait aussi chaud, et j'ai vraiment souffert du manque d'eau.
Enfin, je suis satisfait,  pour moi c’est mission accomplie, content de l’avoir fait, maintenant je vais pouvoir penser et passer à autre chose !